Interview de Vercoutre qui date d'il y a 4 jours. J'en connais un qui va se régaler.
RÉMY VERCOUTRE, le gardien remplaçant de l’OL, n’a pas l’âme d’un numéro 1. Mais il est le taulier du vestiaire.
Rémy Vercoutre (30 ans), gardien remplaçant de l’OL depuis 2002 avec une parenthèse à Strasbourg en 2004-2005, ne parle pas souvent dans le journal. Quand il joue, ce qui est rare, il n’en a pas envie. Quand il ne joue pas, c’est-à-dire presque tout le temps, personne ne va le voir. Mais pour comprendre ce qui se passe dans le vestiaire de Lyon, et décrypter ses ressorts, c’est lui qu’il faut interroger. Parce que dans le vestiaire du septuple champion de France (de 2002 à 2008), le taulier, c’est Vercoutre.
LYON –
de notre envoyé spécial
« AU DÉBUT, quand vous êtes arrivé en 2002, à quoi ressemblait le vestiaire de Lyon ?
– Il y avait une vraie hiérarchie : les anciens d’abord, les jeunes ensuite, et pas grand monde au milieu. Les tauliers, c’était Florent Laville, Philippe Violeau, Christophe Delmotte, Grégory Coupet. Pour entrer dans ce groupe, il fallait montrer patte blanche et un certain état d’esprit. Quand je suis revenu de ma saison à Strasbourg, en 2005, je savais ma chance d’être à Lyon, même comme remplaçant. J’ai voulu reprendre le flambeau, continuer à faire vivre les bonnes choses. Après, au fil des saisons, les joueurs changent tellement qu’en restant tu deviens une référence.
– Vous êtes-vous parfois dit que le vestiaire ne vous plaisait plus ?
– Oui. Chaque début de saison avec un nouvel entraîneur est une période très difficile. Les joueurs aiment s’attendre à un cadre défini, mais le cadre défini a changé (1). C’est très difficile à remettre en route. Comme le changement va toujours dans le sens du rajeunissement, la part des anciens est grignotée. Cela demande des réajustements. Certaines choses ne peuvent plus se faire. C’est fini, les grandes bouffes avec les épouses et les enfants. Cela n’existe plus, il y a beaucoup plus d’individualisme, il faut l’accepter et jongler avec.
– Moins d’individualisme, cela correspond aux meilleures périodes sportives ?
– Pour moi, c’est lié. En ce moment, il se passe un truc dans le vestiaire qu’on a su créer. Le stage en Tunisie, en janvier, a fédéré. On était dans la m…, entre nous, c’était un sale moment. Il a fallu prendre la parole, se dire qu’on ne pouvait pas faire pis, mettre les ego de côté pour rebondir.
– Après Sidney Govou (au club depuis 1999), vous êtes le plus ancien, et vous avez quand même joué cinquante-trois matches, dont neuf en Ligue des champions, un chiffre respectable pour un gardien remplaçant…
– On me dit souvent que je ne joue jamais, et ce n’est même pas ça qui me dérange. Mais les gens ne voient pas les matches que je dois jouer. Quand tu évolues avec Lyon, derrière Greg Coupet ou Hugo Lloris, tu dois faire plus qu’un sans-faute ! Il faut être à leur niveau, sans points de repère, avec vingt caméras braquées sur l’équipe et sur toi. Même si c’est justement ça qui me plaît : d’accord, je joue peu, mais je joue avec Lyon (il est sous contrat jusqu’en 2012)…
– Vous acceptez aussi d’être doublure à Lyon parce que vous avez l’un des plus gros salaires des gardiens de L 1 ?
– C’est difficile de répondre, même si c’est une très bonne question. Disons qu’il est plus facile d’accepter les choses sous cet angle-là. Après, être la doublure du meilleur gardien français, qu’il s’agisse de Greg ou d’Hugo, c’est plus facile, plus clair : tu sais que tu ne joueras que sur blessure ou après un rouge. Parce qu’ils ne passeront pas à travers. Ils ne passent jamais à travers. Et même blessé, Greg jouait quand même…
– Avez-vous eu une part dans la progression de Coupet et de Lloris ?
– Franchement ? Oui. Peut-être un peu plus avec Greg à l’époque qu’avec Hugo aujourd’hui. Avec Greg, il y avait une intensité extraordinaire à l’entraînement. Greg avait plus besoin de travailler qu’Hugo, qui a un don naturel. Quand Hugo a signé (en 2008), je me suis dit, c’est un jeune gardien, c’est peut-être ma chance, accroche-toi, on ne sait jamais. Mais j’ai vite compris ! Il ne m’a pas fallu longtemps pour voir que c’est un phénomène. Dans ce métier, les compliments sont plus difficiles à digérer que les erreurs, et lui, on dirait que rien ne le touche. C’est fort.
– Vous n’êtes jamais jaloux du numéro 1 ?
– Si j’avais été jaloux, je ne serais plus là. Je n’ai pas d’orgueil. Pour être numéro 1, il faut avoir de l’orgueil pour dix. C’est peut-être ça que je n’ai pas et qui fait que je suis numéro 2. Même dans les petits clubs, les numéros 1 sont numéros 1 dans leur tête. Moi, j’ai assez de recul pour savoir que je ne le suis pas. Maintenant, bien sûr, les jours où je joue, je n’en ai rien à foutre des autres ! Il ne faut pas me casser les c… les jours où je joue. Gov’ (Govou) et la Toul’ (Toulalan) sont morts de rire quand ils me voient comme ça, mais je ne peux pas être le même. Je ne peux pas avoir un petit mot pour tout le monde, ni avoir une oreille attentive à tout ce qui se passe, quand j’ai besoin de me concentrer sur mon match.
– Quand vous ne jouez pas, sur le banc, vous êtes infernal…
– Oui, mais ça dépend des matches. Avec l’expérience, je sens mieux les choses, j’ai appris à la fermer quand je sens qu’un match va bien se passer pour nous, et à foutre le bordel seulement quand je sens que ça va être compliqué. Je ne dis pas que ça sert à quelque chose, mais il faut montrer que le banc pousse, et si ça peut peser de 0,2 %, c’est déjà pas mal… On ne se chope pas spécialement avec le banc adverse, plutôt avec les joueurs devant nous, comme à Lorient (3-1, le 20 janvier), avec l’arrière droit (Franco Sosa). Avant le match, l’arbitre vient souvent me voir : “ M. Vercoutre, soyez gentil, restez tranquille aujourd’hui…”
– Sur le banc, Joël Bats, l’entraîneur des gardiens, et vous, c’est la première lame et la deuxième lame…
– Jo est plus piquant que moi.
– En tant que taulier du vestiaire, vous n’aimez pas les journalistes…
– Les critiques, je sais, on y répond sur le terrain le match d’après, mais, dans mon cas, le match d’après n’existe pas. Après, j’ai le souci de protéger le groupe, de veiller à ce que les choses ne sortent pas du vestiaire. Je pense réellement que je suis la meilleure personne pour parler du groupe à l’OL. Je défends ses valeurs, et j’aime l’idée que c’est une responsabilité qui se transmet. C’est pour cela que je suis intervenu avant Boulogne (2-0, le 16 décembre).
– On disait à l’époque que vous aviez “ attrapé ” Cissokho dans le vestiaire…
– À l’entraînement, je suis à 200 %. Mon week-end à moi, c’est toute la semaine. Du lundi au vendredi, je suis un des premiers à arriver, un des derniers à partir. Le vestiaire est mon domaine. Je sais qui le nettoie, je connais tout le monde, d’OL Voyages à OL Pizza… (Sourires.) Je m’identifie au club, je kiffe ce club. Sur le terrain, quand quelqu’un n’est pas à fond, je ne cherche pas à savoir qui c’est, je lui dis. Ce jour-là, “ Cisso ” était blessé à une cheville, il ne pouvait pas, et moi je pensais qu’il ne voulait pas. Sur le terrain, on ne se dit pas : “ Excuse-moi, est-ce que tu pourrais ? Non, on dit : « Bouge-toi le cul ! ” On s’est accrochés mais on ne s’est pas tapés. Jamais je ne me battrai contre quelqu’un, je serais trop malheureux de ne pas pouvoir lui serrer la main ou discuter avec lui pendant six mois. Après, on a rapproché ça de sa déclaration (2), mais quand il nous a dit ce qu’il avait déclaré à la presse, on lui a dit, dans le vestiaire : “ Oh, Cisso, on n’a jamais dit ça, dans la réunion ! ” On l’a chambré, ça nous a fait rire, c’est tout.
– À trente ans, après sept saisons à Lyon, on a l’impression d’être un vieux con, parfois ?
– Je me fais peur. (Sourires.) Je me dis que j’ai le comportement des anciens que je ne comprenais pas quand je suis arrivé. Mais aujourd’hui, ce dont je suis le plus fier, chez nous, c’est que les gamins n’oublient jamais de dire bonjour. Un jeune dit bonjour, au revoir, merci à la serveuse. Faites le tour des hôtels où on va, je suis sûr que l’OL est très bien vu. Il y a de vraies valeurs, qu’on partage avec tout le staff, les kinés, le doc, les intendants. Balancer son short au milieu du vestiaire, ça ne se fait pas. Je peux intervenir pour ça. Mais, dans le vestiaire, il n’y a que des bons mecs. Aujourd’hui, il y a quelque chose de solide entre les joueurs et le staff au sens large. Quelque chose se passe, et c’est une grande joie. Mercredi dernier, Kimmy (Källström) a payé les pizzas et la bière pour arroser la naissance de sa petite Zoé. Il y a quelque temps, certains seraient partis comme des voleurs au bout de dix minutes. Là, tout le monde est resté, longtemps, pour discuter et écouter le discours de Kim en franco-suédois…
– Que représente cette demi-finale ?
– J’ai tout connu ici. Le seul truc qui manquait, c’était un beau parcours en Ligue des champions. Dans tout le club on ressent une effervescence énorme. On est redevenus des gosses. C’était quelque chose de tellement enfoui dans les esprits qu’en ressortant maintenant, cela crée un enthousiasme formidable. Mais le danger est de se dire que c’est jouable. Le Bayern sait tout des demi-finales et des finales. C’est son savoir-faire européen. Le nôtre, c’est de sortir des poules. »
VINCENT DULUC
(1) Depuis son arrivée, quatre entraîneurs se sont succédé sur le banc lyonnais : Paul Le Guen (2002-2005), Gérard Houllier (2005-2007), Alain Perrin (2007-2008) et Claude Puel (depuis 2008).
(2) Devant la presse, Cissokho avait déclaré : « On en a parlé entre nous, on ne fait pas assez de tactique. »